Sylvain Flender <s.flender@thenewanthropology.com>
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21 avril 2020
Le mythe fondateur marque l’origine, le point zéro et la cause « primordiale » d’une société traditionnelle ; il raconte une histoire, qui se transmet la plupart du temps de façon orale. Cette pratique traditionnelle, voire ancestrale se retrouve comme un fondamental humain dans l’univers de l’entreprise, des marques ou de toute entreprise humaine.
Ainsi, en ces temps de confinement, nous pouvons citer une pratique corporelle fortement plébiscitée, le Pilate. Il était une fois Joseph Pilate, personne chétive, asthmatique et dit-on également atteint de rachitisme dans son enfance, qui a créé une nouvelle méthode de gymnastique alors qu’il était interné sur l’île de Man et grâce à cette pratique corporelle, il survécu à la grande épidémie de grippe de 1919… L’histoire salvatrice de son fondateur est un mythe fondateur et légitime alors l’existence de cette nouvelle pratique corporelle au travers de l’é-preuve.
Il est ainsi intéressant de retracer l’origine, d’une nouvelle pratique, de façon à retrouver son mythe fondateur, sa cause primordiale. L’expression de cette cause primordiale se retrouve en marketing dans l’expression «the reason why », que nous pouvons considérer comme une expression moderne et « markétée » du mythe fondateur. En effet, cette expression inscrit l’origine d’une pratique, d’un produit ou d’une marque dans une forme de causalité primordiale et irréfutable, légitimant ainsi son apparition et marquant la rupture entre l’avant et l’après.
Souvent les mythes fondateurs d’une découverte s’inscrivent également dans un temps anecdotique, loin des sentiers officiels de la recherche, comme Archimède dans son bain ou la pomme de Newton, signifiant ainsi à un niveau plus profond que la découverte est une évidence, qui s’impose hors de l’intention du chercheur et qui légitime d’autant plus sa « reason why ».
L’anthropologie culturelle nous amène à considérer le mythe fondateur certes comme une origine primordiale mais également comme un élan vers; c’est-à-dire qu’il donne un sens, une direction, un mouvement, une dynamique, une orientation vers l’avenir. Le mythe fondateur oriente les pratiques et les imaginaires d’une communauté ou d’une entreprise. Ainsi, le mythe fondateur judéo-chrétien de Moïse raconte un élan de liberté, quant à celui du Christ, il raconte un élan de solidarité prosélyte. C’est en ce sens que le mythe fondateur est intéressant, il donne une orientation culturelle profonde, il crée une dynamique. Plus qu’une origine, il est un axe de devenir…
Osons alors prendre l’exemple du Big bang (très révélateur à mon sens de cet élan) ; cette théorie que l’on peut assimiler à un mythe scientifique raconte l’histoire d’un élan, celui du mouvement d’un univers en expansion à partir d’un point originel ; et la notion « d’infini » (qui rejoint celle du divin) n’est pas une abstraction, mais l’histoire d’un processus en expansion. Au regard de ce mythe, ce n’est pas que l’univers n’a pas de fin spatiale, mais c’est qu’il n’a pas de fin temporelle; et l’infinité temporelle est alors évocatrice de cette notion d’origine en tant que créatrice d’un mouvement.
Cette dynamique si importante est souvent peu perceptible, par ceux qui vivent et qui sont portés par ce mythe ; car la dynamique imposée par le mythe fondateur se situe à un niveau infraculturel et donc souvent inconscient.
Qu’est-ce que l’infraculture ?
C’est une notion anthropologique et systémique, qui vise à homogénéiser la diversité des pratiques culturelles dans une société (ou dans une entreprise). La notion d’infraculture permet de comprendre que toutes les pratiques culturelles dans une société, dans une communauté ou dans une entreprise, ne sont pas éparses et sans lien les unes aux autres ; mais qu’elles fonctionnent comme un système, qu’elles obéissent à une forme de programmation qui accepte, tolère ou interdit les productions culturelles. L’infraculture fonctionne comme une forme d’ADN culturel. Considérez que le culture n’est pas un patchwork, mais un système, revient également à remettre au goût du jour la notion chère à l’anthropologie (de Claude Lévi-Strauss), la notion « d’homologie structurale », qui théorise que la culture s’exprime de manière éparse dans toute entreprise humaine avec une cohérence; les relations de parenté, les arts, les mythes et toutes les productions culturelles doivent respecter cet ADN infraculturel, pour faire vivre cet élan. Mais cet ADN infraculturel fonctionne comme un échafaudage inconscient. Ainsi vivons-nous nos mythes fondateurs en toute inconscience.
En quoi cette notion de mythe fondateur est-elle alors intéressante au regard des évènements que nous vivons ?
J’aime à reprendre l’analyse de Jean Viard, sociologue, qui dit que nous ne sommes pas en situation de « crise » mais en situation de « catastrophe ». Au sens où « l’après-crise » relève d’une reprise des activités selon une continuité adaptative de l’avant, alors que la « catastrophe » implique un forme de renouveau, et l’après-catastrophe devient un processus « disruptif » de réinvention de soi.
La notion de mythe fondateur prend alors tout son sens, car après cette catastrophe, il sera question de modifier son élan et son orientation. Au moment du déconfinement, il sera nécessaire pour les entreprises et pour les marques de s’interroger sur ce nouvel élan qu’elles veulent insuffler. A ce titre, pouvons-nous faire référence au grand mythe du confinement judéo-chrétien, celui de Noé et de son arche au milieu d’un monde en transformation, ce sera sans doute l’objet d’un autre post.
Depuis la création de The New Anthropology, nous développons cette approche en anthropologie du changement, fondamentale dans un monde en mouvement, le Myth-Making.
Qu’est-ce que le MYTH-MAKING ?
C’est une pratique de recherche et d’accompagnement des entreprises et des marques, en vue de construire, reconstruire ou reformater leur mythe fondateur ; ceci afin d’affiner leur « reason why » et d’insuffler un nouvel élan tant du point de vue clients que du point de vue collaborateurs.
Cette catastrophe doit inviter les marques et les entreprises à se réinventer, à se donner un nouvel élan ; et ce nouvel élan devra passer par une double dynamique 1) une cohérence par rapport à leur mythe fondateur initial et 2) une adaptation de ce mythe aux nouvelles conditions. Ainsi, nous pensons que le mythe fondateur est un « fondamental anthropologique » nécessaire à toute entreprise humaine ; car il inscrit une origine mais surtout il insuffle un élan et un mouvement vers l’avenir.