Université de Bordeaux – Centre Emile Durkheim
Appel à contributions pour les doctorants, Journée d’études : L’entreprise, le marché, la maison
Le capitalisme distingue trois espaces auxquels il attribue différents rôles. A l’entreprise revient la production ; au marché, l’échange des biens et l’allocation des ressources ; à la maison, la consommation finale. A chacun de ces espaces correspondent des logiques d’action, une typologie d’acteurs et de relations : l’entreprise, centrée sur des objectifs productifs et organisée par des formes de rationalité cristallisées dans des modèles de gestion, réunit des « travailleurs » aux statuts différenciés et hiérarchisés entre eux ; le marché, espace de transactions éphémères et impersonnelles, met en relation des demandeurs et des offreurs, individuels ou collectifs, autonomes et nombreux, théoriquement égaux et libres, poursuivant leurs intérêts propres ; enfin, la maison, comme espace domestique, s’organise autour de relations intimes, de parenté, ou d’affinités électives supposées désintéressées, durables et réciproques.
Prenant au sérieux la distinction analytique entre ces différents espaces, les doctorants en sociologie du Centre Emile Durkheim, organisent le 27 novembre 2015 à l’Université de Bordeaux (site Victoire), une journée d’études intitulée « L’entreprise, le marché, la maison », qui sera l’occasion d’analyser, à partir de cas empiriques, les modalités d’articulation, d’hybridation et/ou d’autonomisation de ces espaces. Il s’agira d’interroger le rôle des acteurs, des organisations, des outils, des dispositifs, des règles de droit, etc. jouant un rôle dans ces processus. Comment se distinguent et s’articulent l’entreprise, le marché et la maison ? Comment la construction des rôles sociaux et des normes contribue-t-elle à autonomiser ou à confondre ces espaces ? Que nous dit la circulation (des marchandises, des normes, des pratiques et des acteurs) de la distinction et de l’articulation de ces espaces ?
Cette journée est consacrée principalement aux travaux de recherche doctoraux. Les meilleures contributions pourront donner lieu à une publication. Elle est destinée en priorité aux sociologues, anthropologues et politistes, mais les apports des économistes, des historiens et des juristes sont aussi les bienvenus. Les contributions devront reprendre les catégories analytiques proposées (l’entreprise, le marché, la maison), en cherchant à penser leur articulation ou leur distinction. Elles devront s’appuyer sur un travail empirique approfondi et pourront s’inscrire dans l’un des trois axes suivant :
Axe 1 : Marché et maison
Le premier axe portera sur les reconfigurations du lien entre consommation et commercialisation, et plus largement sur la pénétration des logiques marchandes au sein de l’espace domestique et inversement sur les processus de domestication du marché, à travers l’analyse des formes contemporaines de commercialisation (vente sur internet, marché de l’occasion, vente à domicile, brocante, dépôt vente…) des biens issus de – ou ayant transité par – la sphère et/ou l’économie domestique et dont ils portent la marque (Chantelat, Vignal, Nier, 2002 ; Chantelat, Vignal, 2002 ; Garci-Bardidia,2014). Dans cette optique, les contributions devront analyser les modalités de construction d’un marché des biens domestiques, et dans le même temps analyser la spécificité de cette forme d’échange marchand (Chantelat, 2002). Quels sont les acteurs de ce marché? Où échangent-ils? Comment se déroule ces transactions ? Quels sont les mécanismes de fixation des prix de ces biens personnels commercialisés ? Quelle forme de relation marchande (Dubuisson-Quellier, 1999) est construite autour des échanges concernant ces produits ? Comment se construit la confiance (Guinnane, 2010) entre les différents acteurs de ce marché? Et enfin, analyser comment un objet devient une marchandise (Marx, 1975 ; Apppadurai, 1989) à travers l’étude des modalités et/ou des rituels (Weber, 2000) de mise sur le marché d’objets personnels ?
Axe 2 : Entreprise et marché
Le deuxième axe abordera la question des liens entre entreprise et marché(s), la manière dont les logiques productives et logiques marchandes se rencontrent, se percutent, s’autonomisent. Nous encouragerons particulièrement les communications qui portent sur la manière dont « le marché », sur lequel les entreprises écoulent leur production, transforme le travail et plus généralement, l’organisation des entreprises. Dans cette perspective, différents types de problématiques peuvent être formulés : analyse du contenu du travail de certaines catégories d’acteurs (les guichetiers, les téléconseillers, etc.), analyse des résistances aux opérations de redéfinition des compétences, émergence de régulations fondée sur une rationalité externe (Borzeix, 2003) encadrant le travail des salariés, etc. Dans le cadre d’une étude de l’organisation, les contributions pourront étudier aussi étudier la manière dont, à l’intérieur de la firme, certains groupes luttent pour imposer leurs « conceptions of control » (Fligstein, 2001). Ce second axe sera l’occasion d’analyser le rôle joué par certaines catégories de salariés (notamment les managers) dans la définition et l’introduction – ou, au contraire, l’éviction, comme dans l’atelier taylorisé (Bidet, Vatin, 2013) – d’un principe marchand dans l’évaluation des performances des travailleurs, la manière dont les figures du « marché » mais aussi du « client » (Maugeri, 2006) sont convoquées pour justifier et légitimer des changements organisationnels, la redéfinition des compétences attendues des salariés, etc.
Axe 3 : Entreprise, marché et maison
Le troisième axe proposera de s’interroger sur l’articulation de ces espaces dans le cadre de la production de cycles économiques complets (production, échange, consommation). En effet, bien que traditionnellement isolées par l’analyse et les traditions de recherche, les pratiques de production, d’échange et de consommation sont liées entre elles dans des rapports spécifiques permettant le fonctionnement de l’économie (Marx, 1967). Dans le schéma capitaliste classique, les marchandises industrielles « standards » sont produites dans l’entreprise, vendues sur le marché et consommées dans la maison. Certains modèles productifs reposent au contraire sur la mise au travail du consommateur (Dujarier, 2008) ou du client (Tiffon, 2013), notamment dans le cas des « marchandises-services », et impliquent, de facto, une hybridation des logiques productives, consuméristes et marchandes. Les pratiques de consommation, les pratiques marchandes et les pratiques de production semblent ainsi mises en cohérence par le « travail » des différents acteurs, comme les « professionnels du marché » (Cochoy et Dubuisson-Quellier, 2000) ou les gestionnaires. Mais ce constat laisse une question ouverte : de quelle manière ces rapports sont-ils réglés ? Existe-t-il des normes stables structurant ce travail de mise en cohérence ? Comment le travail de coordination instaure-t-il un ordre entre ces pratiques ? Les propositions pourront chercher à montrer comment les acteurs économiques recomposent des arrangements, plus ou moins locaux, susceptibles d’organiser les pratiques de production, d’échange et de consommation.
Les propositions de contribution devront comporter un titre, une bibliographie indicative et résumer le propos. Elles ne devront pas excéder les 4 000 signes. Elles sont à envoyer avant le 15/09/2015, par mail, aux organisateurs : doctorants.ced@gmail.com.
Références :
Appadurai, A., dir. (1989), The social life of things. Commodities in Cultural perspective, Londres-New York, Cambridge University Press.
Bidet, A., Vatin, F. (2013), « Mesure et acteur au travail », In : Steiner, P., Vatin, F., Traité de sociologie économique, Paris, Puf.
Borzeix, A. (2003), « Autonomie et contrôle à l’épreuve d’une « rationalité externe » ». In : de Terssac, G., La théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud, La découverte, Paris, 2003.
Chantelat, P., Vignal, B., Nier, O. (2002), « Le marché des biens sportifs d’occasion: consommation postmoderne ou rationalisation? », Revue Française du Marketing 188, 5-14.
Chantelat, P., Vignal, B. (2002), « L’intermédiation du marché de l’occasion. Echange marchand, confiance et interactions sociales », Sociologie du travail, 44, 315-336.
Chantelat, P. (2002), « La nouvelle Sociologie Economique et le lien marchand : des relations personnelles à l’impersonnalité des relations », Revue française de sociologie 43(3), 521-556.
Cochoy, F., Dubuisson-Quellier, S. (2000), « Les professionnels du marché », Sociologie du travail 42 (3).
Dubuisson-Quellier, S., 1999, « Le prestataire, le client et le consommateur. Sociologie d’une relation marchande », Revue française de sociologie 40 (4), 671-688.
Dujarier, M.A. (2008), Le travail du consommateur, De McDo à Ebay : comment nous coproduisons ce que nous achetons, La découverte, Paris.
Fligstein N. (2001), The Architecture of Markets: An Economic Sociology of Twenty-First- Century Capitalist Societies, Princeton, N.J., Princeton University Press.
Garci-Bardidia, R. (2014), « Se débarrasser d’objet sur leboncoin.fr. Une pratique entre don et marché? », Revue du MAUSS 44 (2), 271-285.
Guinnane, T., W. (2010), « Les économistes, le crédit, la confiance », Genèse 79, 6-25
Marx, K. (1967), Fondements de la critique de l’économie politique, Volume 1. Éditions anthropos, Paris.
Marx, K.(1975), Le Capital. Critique de l’économie politique. Livre premier. Le développement de la production capitaliste, Paris, Editions Sociales, 1975
Maugeri, S., (dir) (2006), Au nom du client. Management néo-libéral et dispositifs de gestion, L’Harmattan, Paris.
Tiffon, G. (2013), La mise au travail des clients, Economica, Paris.
Weber, F. (2000), « Transactions marchandes, échanges rituels, relations personnelles », Genèses 41(4), 85-107.
Organisateurs :
Benoit Giry (Doctorant – Centre Émile Durkheim) ; Glenn Mainguy (Doctorant – Centre Émile Durkheim) ; Pierre Naves (Doctorant – Centre Émile Durkheim).
Comité scientifique :
Olivier Cousin (Université de Bordeaux – Centre Émile Durkheim) ; Ronan Hervouet (Université de Bordeaux – Centre Émile Durkheim) ; Andy Smith (IEP de Bordeaux – Centre Émile Durkheim) ; Alina Surubaru (Université Bordeaux – Centre Émile Durkheim).