2020 03 Quelle est l’utilité sociale de la socio-anthropologie ?
Fabrice Clochard, Nicolas Hossart, Maya Leclercq, Élodie Perreau Atelier du réseau : anthropik de septembre 2019
De quelle manière les sociologues et anthropologues (professionnels) participent à la transformation sociale ? Voici quelques questions que l’on nous pose souvent… et auxquelles nous avons tenté de répondre.
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1. Comment décrire le métier de socio-anthropologue, quelles sont nos méthodes ?
La démarche de la socio-anthropologie est caractérisée par la mobilisation d’outils d’enquêtes et d’observations. Nous nous fondons dans le décor, échangeons avec l’ensemble des acteurs : des ouvriers sur un chantier, les agents de maîtrise, le PDG d’une grande entreprise, les représentants syndicaux. C’est le côté caméléon de notre métier. Le cœur de notre métier, de notre savoir-faire, c’est notre capacité d’écoute de tous les points de vue.
Mais l’écoute n’est rien sans interaction : notre maîtrise de la relance permet bien souvent d’aller au-delà des premières déclarations parfois toutes faites. Savoir poser des questions précises et rester dans la curiosité de l’autre s’aiguisent au fil de l’expérience.
Aller à la rencontre des individus — qu’ils soient usagers, clients, praticiens… —, les observer, les questionner sur leurs pratiques, leurs représentations, leurs usages et leurs motivations est souvent une « première ». Si les méthodes sont parfois anciennes, elles sont ancrées dans le monde académique et ont parfois du mal à franchir les frontières ; elles sont encore peu utilisées en institutions.
Nous mettons en place des méthodologies qui sont peu habituelles dans les institutions publiques ou privées (itinéraires de pratiques, observer les usagers, etc.). Ces méthodes ne permettent pas seulement d’observer : elles amènent également les usagers à se questionner sur eux-mêmes et leurs pratiques, et à révéler la capacité d’analyse des acteurs interrogés : « En disant cela, je me rends compte que… ».
La démarche est également pragmatique et inclusive, puisque nous travaillons avec tous les acteurs concernés dans le système d’interactions et de négociations, dussent-ils avoir des intérêts antagonistes. Le secteur alimentaire, par exemple, est frappant en ce sens. Rien n’est plus compliqué qu’une assiette de dinde et de ratatouille à la cantine…
2. "Mais c’est très subjectif tout ça, est-ce bien scientifique ?"
Si notre premier travail est l’écoute et l’observation, nous apportons parfois aussi nos valeurs.
Notre présence n’est jamais anodine dans une enquête. Nous venons avec notre neutralité, mais aussi avec notre subjectivité. Nous avons le droit d’avoir une opinion, mais savoir la mettre de côté ou l’exprimer a posteriori est essentiel pour ne pas biaiser notre recueil d’informations.
En effet, la subjectivité du socio-anthropologue peut se retrouver en amont (le fait d’accepter de travailler sur un sujet, ou non), et en aval, à la fin de l’étude. Si la subjectivité arrive trop tôt, on retombe dans des débats idéologiques qui ne rendent pas visible le politique.
Nous nous questionnons et réfléchissons systématiquement à notre place d’observateur… En tant qu’individus, que faisons-nous, qu’induisons-nous ? D’autant qu’une observation n’est jamais neutre dès lors que notre présence interagit nécessairement avec les acteurs observés.
Nous sommes capables de dépasser notre subjectivité (nous avons des outils qui nous aident en ce sens). Notre rôle est aussi d’être à l’écoute de tous les acteurs, y compris de ceux dont on ne partage pas le point de vue.
3. « Mais concrètement, ça sert à quoi ? »
Le rôle du sociologue est justement de se saisir d’une controverse, un débat, un conflit, et de retracer le fil, en prenant en compte les acteurs, humains et non humains, et ce travail de visualisation participe à la transformation sociale…
C’est un travail fastidieux, difficile, mais utile. Et cela change la vision que l’on peut avoir du sociologue, en travaillant avec l’ensemble des acteurs concernés, il devient un « metteur en lien ». Il s’intéresse à tous les acteurs, leurs relations aux autres, aux objets, à l’espace et au temps, afin de mieux (faire) comprendre le système qui les intègre pour éventuellement l’optimiser.
Le rôle du sociologue ou de l’anthropologue et aussi de décaler le regard sur les évidences du quotidien, de mettre en lumière des pratiques, des cultures afin de permettre aux acteurs de se concerter. Créer du lien là où il y a des tensions, permettre le dialogue.
4. Et en quoi cela participe-t-il à la transformation sociale ?
Révéler cette complexité, c’est la rendre accessible et questionnable, c’est rendre le débat possible, et donc participer à la transformation sociale.
En travaillant avec l’ensemble des acteurs, en révélant leur capacité d’analyse, nous aidons à la compréhension des différents points de vue. Cela contribue en quelque sorte à rendre la réalité de « l’Autre » accessible et entendable. Cela peut, dans une certaine mesure, rendre possible la vraie discussion. En rendant visibles les jeux d’acteurs et les postures stratégiques de chacun, cela permet à chacun de se positionner clairement. La négociation peut alors commencer…
En étant des facilitateurs de cette transformation sociale, nous donnons en quelque sorte aux acteurs les moyens de mieux vivre ensemble.