Retour d’expériences du 12 au 20 mars 2020
Cyril Desjeux
Directeur scientifique
Docteur en sociologie
cyril.desjeux@handeo.fr
Handeo
14, rue de la Tombe Issoire – 75014 PARIS
Il n’est pas question dans ce texte d’avoir un jugement de valeur « positif » ou « négatif » à l’égard des choix fait par le gouvernement. Son objectif est de s’appuyer sur des retours d’expérience pour mettre en lumière, au regard de la temporalité dans laquelle se situe la gestion de l’épidémie, les effets sociaux du COVID-19 sur les personnes en situation de handicap, les personnes âgées dépendantes et le secteur de l’aide à domicile.
Cette question de la temporalité dans laquelle ce texte se situe est importante. D’une part, elle façonne une certaine manière de décrire ces effets dans la « dramaturgie » par laquelle la pandémie se met en scène avec plusieurs actes qui marquent un début, un milieu et une fin. D’autre part, elle souligne le caractère évolutif de toutes hypothèses formulées concernant l’évolution de la pandémie, les stratégies et pratiques d’adaptation des personnes, la reconfiguration des logiques politiques en action ainsi que celle des mécanismes communaux, régionaux, nationaux et internationaux de coordination, de solidarité ou de régulation, sur le plus long terme.
Sans jugement de valeur, on peut convenir que l’annonce en escalier (jeudi 12 mars puis renforcement samedi 14 mars, consolidée le lundi 17 mars) participe d’un processus de prise de conscience collective progressive de l’ampleur du phénomène du COVID-19 et de ses effets sur l’ensemble de la population. Par exemple, un sondage IFOP estimé à 61% le nombre de français inquiets au 28 février[1]. Ce chiffre passe à 91 % le 18 mars selon ELABE[2]. Cela a sans doute dilué le risque d’une panique massive ou, à l’inverse d’un sentiment d’incrédulité. Que l’annonce soit graduée ou non, la prise de position du gouvernement participe à renforcer l’appropriation des « mesures barrières ».
On peut également considérer qu’un effort important a été fait concernant l’accès à l’information par le Facile à Lire et à Comprendre (FALC), la Langue des Signes Françaises (LSF), la Langue française Parlée Complétée (LCP) ou la vélotypie ainsi que par la mise en place de numéros et de plateformes d’écoute (Autisme info service, numéro vert, téléservice dédié aux personnes sourdes, malentendantes ou aveugles, foire aux questions, site d’information adapté, etc.). Néanmoins certaines personnes ont pu identifier des problèmes de rapidité des gestes ou d’approximation dans la traduction de la vélotypie pour les informations en direct . En outre, le formulaire d’autorisation de sortie peut rester compliqué d’accès pour les personnes qui ne sont pas équipées numériquement à leur domicile.
Quelle que soit la manière de considérer la gestion de la première phase de cette crise par le gouvernement, plusieurs enseignements peuvent être tirés au regard des effets sociaux du COVID-19 sur les personnes en situation de handicap, les personnes âgées dépendantes et le secteur de l’aide à domicile.
Pour les personnes en situation de handicap, les personnes âgées dépendantes et les proches aidants :
Les personnes en situation de handicap, les personnes âgées dépendantes et leurs proches aidants (dont les jeunes aidants) peuvent avoir un sentiment d’inquiétude amplifié du fait, notamment, de l’incertitude du passage de l’aide à domicile. Dans ces inquiétudes, il y a des gestions de l’émotion très différentes selon les publics. Les personnes sous respirateur ou avec des risques de complication de santé peuvent être perçues comme un public particulièrement fragile, mais c’est également le cas des personnes vivant avec un handicap psychique ou cognitif pour lesquels le lien social est très compliqué à ré organiser dans ce contexte (et sa rupture peut aussi être source de mortalité).
Pour ces publics, et en particulier les personnes autistes, la rupture des routines peut être encore plus anxiogène que pour le reste de la population. Les règles de confinement peuvent être très compliquées à respecter ou mettre en difficulté de nombreuses familles dont au moins l’un des membres présente des troubles du déficit de l’attention (TDAH), une hyperactivité, des comportement-défis (appelés également comportement-problèmes) ou plus largement des troubles du comportements.
Pour les proches aidants, elles peuvent entrer en tension avec leur besoin de répit ou d’hospitalisation. Certaines personnes, notamment déficientes intellectuelles ou avec des troubles de la mémoire, montrent également une difficulté à comprendre et retenir les messages. Les effets mentionnés par les personnes ou les proches peuvent être, par exemple, un accroissement limité du stress, mais également une difficulté à s’approprier seul, les gestes barrières.
La gestion des mesures de protection des personnes majeures et des mesures de protection de l’enfance peut devenir très problématique dans ce contexte. Le confinement collectif « imposé » dans des établissements pénitentiaires (une personne détenue sur quatre souffrirait de troubles psychotiques)[3] ou des établissements médico-sociaux (en particulier lorsque le nombre de personnels est réduit de manière trop importante) sont aussi des sources d’angoisse pour les personnes et les professionnels.
D’autres situations “invisibles” peuvent montrer toute l’ambivalence du confinement au regard des conditions de vie de certaines personnes en situation de handicap, âgées dépendantes ou aidantes qui peuvent, par ailleurs, également avoir des difficultés sociales, avoir des risques de violence domestique, être dans un logement insalubre ou sans domicile.
Certaines personnes en situation de handicap montrent également une capacité à absorber plus facilement la situation actuelle et ses contraintes, du fait d’une « vulnérabilité » qui préexistait au COVID-19, d’un environnement perpétuellement incertain et potentiellement dangereux (en période de crise ou non). Il s’agit alors moins de s’approprier les « gestes barrières » (éviter les personnes malades, maintenir une distance raisonnable, demander aux intervenant de : se protéger le visage et/ou les mains, bien se laver les mains, tousser dans le coude, etc.) que de ne pas faire monter la charge mentale et le stress.
Des stratégies d’adaptation peuvent ainsi être mises en place pour réguler ses émotions : éviter d’écouter en permanence les informations, vérifier les sources, garder un contact social au moins par téléphone ou internet, prendre de la distance avec les réseaux sociaux, maintenir un mode de vie sain et équilibré, etc. Mais la gestion des émotions ne portent pas uniquement sur soi. Certaines personnes en situation de handicap disent se retrouver à devoir aussi moduler celles des aides à domicile qui peuvent intervenir chez elles. Certaines de leurs auxiliaires ou assistantes de vie ont peur ou, au contraire, sont dans une certaine insouciance en ne mesurant pas les risques de transmission et toute la chaîne de conséquences humaines et organisationnelles.
Sans reprendre la polémique qui a animé les médias concernant le maintien du premier tour des municipales, on peut néanmoins relever que l’annonce en escalier entre le jeudi 12 mars et le samedi 14 mars n’a pas permis à certaines personnes de s’organiser pour les élections et demander une procuration pour les élections qui ont été, en partie, maintenues. Cet événement sera peut-être l’occasion de repenser le “vote à distance”.
D’une part, la procuration peut se faire à tout moment de l’année. Or, en pratique, les personnes ont tendance à anticiper cette modalité uniquement à l’arrivée des élections. D’autre part, le vote par correspondance qui avait été supprimé en 1975 au profit de la procuration, pourrait être envisagé de nouveau comme alternative, voire être proposé de manière électronique. Paradoxalement, pour des élections professionnelles (qui permettent aux salariés d’une structure d’élire des représentants du personnel), la procuration n’est pas possible, mais le vote par correspondance ou par internet est autorisé sous certaines conditions. Le vote par correspondance ou par voie électronique existe également pour les élections au Conseil supérieur des Français de l’étranger.
Pour les services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD) :
Des services d’Aide et d’Accompagnement à Domicile (SAAD) ont dit avoir anticipé la pandémie (en achetant des masques et du gel dès la contamination en Italie). Cependant plusieurs SAAD font remonter des difficultés d’accès aux matériels (masques, gants et gels hydroalcooliques) car ils ne sont pas identifiés comme soignants, même s’ils sont identifiés comme des « professionnels prioritaires »[4]. Ce manque de matériel expose plus particulièrement ces professionnels et également les personnes auprès de qui ils interviennent. Il amplifie aussi les difficultés de ressources humaines puisque les services sont confrontés à des personnels qui exercent leur “droit de retrait” car n’étant pas équipés[5].
Les services doivent ainsi accroître leur capacité de « bricolage » organisationnel : ils doivent continuer à absorber les problèmes du secteur tout en faisant face au droit de retrait des intervenants. Aussi, une partie des services fonctionne en effectif réduit, augmente la charge de travail des intervenants qui restent actifs, et doit inventer des solutions, notamment de garde d’enfants (pour que les intervenants qui ont également une vie de famille, puissent également maintenir leur équilibre) ou de transport (prêt de véhicule, conduite des intervenants non véhiculés chez les personnes, etc.) ou encore de portage de repas ou de gestion des temps de surveillance.
Concernant spécifiquement la garde d’enfant, des mesures ont été prises par le gouvernement comme l’indique la note du ministère des solidarité et de la santé du 13 mars 2020 « coronavirus (COVID – 19) » qui vise explicitement les « auxiliaires de vie des personnes handicapées et âgées ». Or certains SAAD rapportent rencontrer des difficultés pour bénéficier de ces aménagements. Certains salariés en emploi direct sont également en difficulté sur certains territoires qui ne reconnaissent pas ces professionnels comme « prioritaires » car ne travaillant pas dans un « établissement médical » ou « médico-social » ou un « service à domicile ».
Plusieurs services alertent sur le fait que cette réorganisation occasionne également des heures supplémentaires qui ne peuvent pas toujours être absorbées par la trésorerie du service à domicile, et qui impacteront encore plus dangereusement son budget.
La pénurie de matériel amène certains SAAD à réserver les masques homologués (lorsqu’ils en ont) aux interventions auprès de personnes testées positivement ou à limiter leurs usage à certains actes intimes (comme l’aide à la toilette ou les changes par exemple). Même lorsque les services disposent de masques, cela reste compliqué de respecter leurs normes d’usage du fait de leur faible nombre : « Une fois enlevé, il ne doit pas être réutilisé. Il doit être changé immédiatement en dehors de la présence du patient, chaque fois qu’il est souillé, mouillé, ou mal positionné sur le visage. […] Sa durée de protection varie entre trois et huit heures, mais il est difficilement supporté au-delà de quelques heures » (Fiche mémo)[6].
Les SAAD doivent également faire face à la gestion des émotions des personnes accompagnées et de leurs proches aidants ainsi que celle des auxiliaires qui peuvent être angoissés, notamment au regard de gestes qui ne peuvent pas toujours se faire de manière totalement sécurisée.
Pour aller plus loin, je vous invite à lire l’article de Franck Seuret de Faire-Face qui met en lumière trois SAAD certifiés Cap’Handéo…https://www.faire-face.fr/2020/03/19/coronavirus-services-aide-handicap/
[1] [En ligne] https://www.lci.fr/sante/coronavirus-covid-19-pres-de-deux-francais-sur-trois-inquiets-par-l-avancee-de-la-maladie-2146857.html . Consulté le 18 mars 2020
[2] [En ligne] https://www.bfmtv.com/societe/sondage-bfmtv-93percent-des-francais-approuvent-la-mise-en-place-du-confinement-limitant-les-deplacements-1876782.html. Consulté le 18 mars 2020
[3] Protais Caroline, Gougou Zubert, Bataillard Christine-Dominique et al. Malades psychiques en prison. Une folie. Dedans-Dehors, n° 99, 2018, pp.12-57
[4] Arrêté du 16 mars 2020 complétant l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19
[5] Pour un éclairage juridique du “droit de retrait” voir notamment l’article d’Alison DAHAN : https://www.lyoncapitale.fr/actualite/coronavirus-a-lyon-peur-daller-travailler-peur-pour-sa-sante-toutes-les-reponses-autour-du-droit-de-retrait/
[6] [En ligne] https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Fiche_Masques.pdf. Consulté le 20 mars 2020